Entre temps, sa mère nourricière s'était remariée à Guy de Maillé et la nouvelle famille quitta assez rapidement Nantes pour aller vivre principalement au château du Boisguignot à Bécon-les-Granits ( Maine et Loire). Ainsi il s'éloignait de son cher océan mais il allait connaitre le bonheur de vivre auprès d'un beau père aimant qui décida de l'adopter. C'est ainsi qu'après de longues démarches juridiques, il obtint de lui donner son nom et d'en faire son unique héritier.

A 20 ans, vint le temps du service militaire, deux années à l'époque. Libéré de ses obligations militaires il rentra au  Boisguignot. Il n'eut que le temps de peindre quelques uns des lieux où l'armée l'avait mené: les rumeurs de guerre devinrent assourdissantes. De fait il ne tarda pas à être mobilisé.

Durant cette mobilisation, son régiment eut l'occasion de manœuvrer dans la Creuse au camp de la Courtine. C'est là qu'au printemps 1939, il rencontra sa future épouse, orpheline de père de la guerre de 14. Elle vivait à Lyon mais était en vacances avec sa mère dans sa famille. L'idylle commença donc peu avant la déclaration de guerre.

Enfin, septembre arriva avec sa guerre...Plus question de rêver: au front de l'Est, il fallait penser à sauver sa peau. Jacques de Maillé eut quelques permissions avant d'être assez rapidement fait prisonnier et envoyé dans un stalag en Allemagne. De là, il eut tout le loisir d'écrire de belles lettres à sa fiancée, agrémentées de croquis de sa vie de tous les jours.

Au début, cela ne fut pas trop difficile. Les Allemands admiraient son talent, et, aussi incroyable que cela fut, il eut par leur intermédiaire,  l'occasion d'exposer. Il se fit de fidèles compagnons, captifs comme lui, avec lesquels il échangeait sur ses lectures et ses goûts musicaux. Avec eux, il montait même des pièces de théâtre avec les encouragements des allemands. Bref, la captivité était tout à fait supportable.

Malheureusement la guerre vint à se durcir et, de ce fait, la captivité aussi. Plus question d'être bien traité par l'ennemi. La captivité devint terrible. Afin de lutter contre le choléra qui décimait un à un ses compagnons, Jacques de Maillé sortait torse nu, chaque matin, pour casser la glace afin de se laver.

Lorsque vint la libération il avait 30 ans, plus beaucoup de dents, pesait quelques 40 kg pour un mètre 78....

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Il rentra donc au Boisguignot, puis s'empressa, en novembre 1945,  d'épouser sa fiancée lyonnaise qui l'avait attendu sans savoir s'il était encore en vie.

Il s'installa donc à Lyon, sans réel diplôme. Pour trouver du travail il ne lui restait plus  qu'à exploiter son talent. C'est ainsi qu'il trouva un poste de décorateur  pour la réalisation des décors de cinéma ou de l'Opéra.

A noter que son patron admirait son travail et manifestait une grande estime et un profond respect envers cet homme silencieux, raffiné et riche d'une parfaite éducation.

Dans cette belle ville (que sa mauvaise foi disait horrible!), il vécut chaque année en rêvant du mois d'août, où, avec femme et enfants, il allait retrouver son cher Bourg de Batz. 

En effet chaque été il envoyait femme et enfants passer les longues vacances scolaires au Boisguignot. Puis il les récupérait en août: direction le Bourg de Batz, l'océan.... Une fois là bas, il n'avait de cesse de parcourir la Bretagne et d'engranger des croquis. Tout d'abord la famille partait en excursion avec " les cars Drouin"  puis, par la suite, cet artiste se mit au volant de la" Frégate" qui lui offrait plus de liberté de choix dans ses découvertes de paysages. Toute la famille découvrait la Bretagne à ses côtés et il la leur  commentait avec enthousiasme. Il sut faire en sorte que ses deux enfants tombent également amoureux de ces paysages  et même, plus tard, ses petits enfants (qu'il n'eut pas la joie de connaître mais qui lui vouent une immense admiration ). A leurs yeux, leur grand père est un modèle prestigieux, une légende!

Outre les excursions véhiculées, Jacques de Maillé était un infatigable grand marcheur et il n'était pas facile de suivre ses rapides et grandes enjambées.. Il dévorait des yeux tout ce qu'il découvrait.

Pour mieux communier avec l'océan il n'hésitait pas, chaque année,  à sympathiser avec les marins-pêcheurs du Croisic et ainsi à se faire embarquer dès l'aube pour une pêche à la sardine en haute mer. Il avait alors tout le loisir d'observer le jeu des vagues autour des navires. En effet, dans ses aquarelles, il excellait dans son rendu des mers, dans la transparence de leurs eaux, qu'elles soient déchainées ou mers d'huile.

Son plus proche ami  était un des responsables de la CGT (Compagnie Générale Transatlantique!!) avec lequel il échangeait beaucoup, notamment à propos des paquebots en construction à St Nazaire.

Par son intermédiaire il assista en tribune au lancement du Paquebot "France". Madame de Gaulle en était la marraine . Pour cet évènement il n'hésita pas à faire un aller/retour de nuit entre Lyon et St Nazaire quitte à s'endormir pendant la messe de confirmation de sa fille à son retour en sa paroisse lyonnaise!!

Il eut le plaisir de rencontrer le Commandant Lehuédé, premier commandant du paquebot "France". Cette personnalité avait, en outre,  la particularité d'être un "petit gars du Bourg de Batz" ce qui ajoutait à son prestige!!

Bien entendu, par la suite, il  réalisa un très grand nombre d'aquarelles du "France"   dans toutes les situations.

Par cet ami de la CGT, il obtenait moult documentations sur les paquebots et la marine marchande en général. Cela lui permettait de réaliser des aquarelles parfaitement exactes .

Enfin il arpentait à grandes enjambées les quais du port de St Nazaire chaque fois qu'un nouveau bateau en provenance d'une lointaine destination était annoncé...

Sa mémoire visuelle était extraordinaire. A croire qu'il avait un appareil de photo derrière ses yeux. C'est ainsi que pendant tout le reste de l'année, il consacrait pratiquement chaque week-end à faire revivre ses émotions d'été à travers ses aquarelles. Il les construisait à partir de son carnet de croquis qui le quittait rarement. Usuellement, il peignait tous les samedis en  réalisant une à deux aquarelles, mais aussi le dimanche, avant la messe. Généralement il avait eu le temps de réaliser deux aquarelles  et,  parfois il en lançait une autre entre le retour de messe et le déjeuner!! D'où la quantité impressionnante d' aquarelles qui composent son œuvre.

Il eut une période où ses peintures furent influencées par Bernard Buffet. Il était également très admiratif des aquarelles de Jean Mercier, un maître dans l'harmonie des couleurs. (qui plus est, il avait réalisé les menus du paquebot "France" aujourd'hui très recherchés des collectionneurs)

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Frustré de ne plus voir la mer et la Bretagne, certes il l'était, mais il demeurait tout aussi  frustré de ne pas avoir pu devenir marin...

Pas de problème pour lui, il décida de soigner cette frustration par le même moyen que la précédente, et, si au mois d'août il ne pouvait pas embarquer à bord d'un bâtiment de la Royale, qu'à cela ne tienne, soit il avait l'opportunité d'en voir croiser à proximité de "sa" presqu'île Guérandaise (à St Nazaire ou à Lorient), soit il se documentait. Ainsi il était abonné à la revue "Cols Bleus", entre autres, de telle sorte qu' il s'était construit une documentation d'une incroyable précision. Ses nombreuses aquarelles ayant pour sujet des bâtiments de la Marine Nationale sont très fidèles à la réalité.

A Lyon, il s'était fait un cercle d'amis  par le biais de l'Association Lyonnaise des Peintres Amateurs qu'il a eu l'occasion de patronner. Par la suite, il exposa chaque année au salon de la Marine qui se tenait dans la chapelle désaffectée du lycée Ampère. Pour lui c'était des grands moments de bonheur car il y rencontrait des officiers de marine qui le faisaient rêver et avec lesquels il avait des discussions passionnées. Il faut dire que ces derniers l'appréciaient beaucoup,  parfois ils le sollicitaient afin de réaliser pour eux une aquarelle du bâtiment qu'ils avaient commandé.

De nature rêveuse et très introverti, Jacques de Maillé ne chercha pas à se créer une notoriété. La reconnaissance des gradés de la Royale valait à ses yeux bien plus. En fait lorsqu'il vendait ses aquarelles c'était, pour ainsi dire, sans l'avoir voulu...

Pour autant, il ne manquait pas d'humour et, discrètement, il ne ratait aucune occasion de tourner en dérision les uns ou les autres par le biais de caricatures.

Il avait également le secret des jeux de lumière à l'intérieur d'édifices religieux remarquables. Il réalisait alors des aquarelles qui semblaient couleur d'or. Entre piliers ocres et rayons de lumière  tombants judicieusement des vitraux, il parvenait à créer une atmosphère mystique.

Parfois il lui arrivait de réaliser, par jeu, une aquarelle correspondant à une actualité qui l'avait marqué (citons, entre autres, le mariage de la Princesse Anne d'Angleterre avec tous ses fastes et ses couleurs chatoyantes!) c'était un passionné capable de grands enthousiasmes. Chaque moment fort de sa vie était ainsi fréquemment traduit aussitôt par une aquarelle relative à l'évènement.

 Certes, c'était un homme silencieux qui s'exprimait peu, mais en réalité il s'exprimait différemment, non pas avec des mots, mais avec ses pinceaux....

Arriva l'année 1973 et la déclaration d'une maladie dont il ne parlera jamais, il se renferma sur lui même, continua à peindre tant qu'il le put,  puis il se réfugia dans un terrible silence, vraisemblablement proche de Dieu car c'était un homme profondément croyant.

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Jacques de Maillé  a été décoré de l'ordre national du mérite. Cette décoration fut sollicitée pour lui par le responsable du salon de la Marine de Lyon.

Sur l'initiative du peintre Nicolas Sokoloff (1899-1985) une de ses aquarelles fut présentée au concours des Beaux Arts de Lyon.

Il  obtint le premier prix des beaux Arts et c'est sur son lit de mort qu'il reçu ce prix dans une totale indifférence de sa part.... (voir photo de l'aquarelle primée) Il avait rêvé de quitter Lyon pour  venir passer sa retraite au Boisguignot, pas trop loin de son cher Océan... Il n'avait que 58 ans lorsque, dans son cercueil, il quitta enfin  Lyon pour aller reposer dans la crypte de la chapelle du Boisguignot.

C'était au mois septembre de l'année 1974....

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L'œuvre de Jacques de Maillé a privilégié trois thèmes:

- Les bâtiments de la Marine Nationale

- Paquebots et bâtiments de la Marine Marchande

- Marines et paysages de Bretagne

La mer en est le dénominateur commun.

 

     

NB: De son nom complet Jacques Maurel de Maillé de la Tourlandry a signé ses oeuvres sous le nom de J de Maillé ou de JM de Maillé.

     

C'est à la Sainte Catherine de l'année 1915, lorsque tout arbre prend racine, que Jacques Maurel de Maillé planta les siennes. De solides racines mais dans une terre qui se révèlera un peu hostile....

Enfant caché fruit de la rencontre des jeunes héritiers de deux prestigieuses familles de notables, son éducation (par l'intermédiaire d'un prêtre ami de son grand père maternel) fut confiée à  une famille d'excellente réputation qui vivait au Bourg de Batz, aujourd'hui appelé Batz-sur-mer. C'est donc en ce pays bien aimé que le petit Jacques grandit. Son éducation fut assurée par un précepteur qui n'était autre que le curé de la Paroisse Saint Guénolé, d'où son excellente maîtrise du latin. De ces moments de studieuse complicité il semblait garder un bon souvenir.

Mais ses souvenirs les plus marquants furent ses interminables escapades en bord de mer entre plages et rochers. Là, face à l'Océan, il se laissa définitivement séduire : entre la Bretagne, l'Océan et lui s'instaura la plus grande des passions...Outre les promenades, cet amour commença assez tôt à se concrétiser par de premières esquisses de paysages marins et de bateaux. C'est donc bien naturellement qu'il décida de devenir un jour marin....

Puis,  alors qu'il n'avait qu'une douzaine d'années, sa mère nourricière devenue veuve décidât d'aller vivre à Nantes. L'avenir était donc sombre et, qui plus est, son rêve de devenir marin s'écroulait. En effet, trop myope, cette carrière lui fut refusée.

Désormais à Nantes, c'est sans grande conviction qu' il y débuta de vagues études de droit. En réalité, il passait le plus clair de son temps à aller rêver sur le port à observer les bateaux.